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Divulgation de policiers : Cassation sur le refus de réparation civile

Le 14 avril 2025
Divulgation de policiers : Cassation sur le refus de réparation civile
divulgation d’information personnelle – police – vidéo réseaux sociaux – outrage – partie civile – article 223-1-1 code pénal – Cour de cassation – indemnisation – jurisprudence pénale – risque d’atteinte – infraction numérique – droits des fonctionnaires

1. Résumé succinct
Juridiction : Cour de cassation, chambre criminelle
Date : 11 février 2025
Référence : n° 24-82.090 – Lien Légifrance officiel

Parties :

Parties civiles : policiers [V] [E], [D] [H], [M] [J]
Prévenus : [O] [F] (auteur de propos outranciers), [R] [L] (diffuseur de la vidéo)

Nature du litige : Divulgation d’informations personnelles identifiantes de policiers et outrage à une personne dépositaire de l’autorité publique.

Impact principal : Reconnaissance du droit à réparation des fonctionnaires identifiés sur une vidéo même non explicitement nommés, cassation partielle des dispositions civiles.

Analyse détaillée
Les faits
Une altercation oppose M. [F] à des fonctionnaires de police (MM. [E], [H] et Mme [J]) dans un contexte tendu.
M. [L], accompagnant M. [F], filme et diffuse une vidéo en ligne, comportant des propos accusateurs envers la police.
Les policiers concernés apparaissent dans la vidéo, sans être nommément désignés.
La procédure
Le tribunal correctionnel :

Déclare M. [F] coupable d’outrage mais le dispense de peine.
Relaxe M. [L] pour la divulgation d’informations personnelles.
Reçoit la constitution de partie civile de M. [E] mais rejette celles de M. [H] et Mme [J].

La cour d’appel de Versailles :

Condamne M. [L] à un an de prison pour divulgation d’informations identifiantes de fonctionnaires de police.
Rejette les demandes indemnitaires de M. [E], [H] et [J], considérant qu’ils ne sont pas visés explicitement ou n’ont pas formé de demande indemnitaire.

Contenu de la décision de la Cour de cassation

Arguments des parties
Les policiers requérants soutiennent que l’identification dans la vidéo suffit à justifier un préjudice personnel.
Ils invoquent notamment l’article 223-1-1 du Code pénal et les articles 2 et 3 du Code de procédure pénale.

Raisonnement juridique
Sur M. [E] : La Cour rappelle que dès lors que le principe du préjudice est reconnu, le juge doit, au besoin, inviter la partie civile à formuler ses demandes indemnitaire. La cour d’appel ne pouvait écarter la réparation au seul motif d’une absence de demande chiffrée.

Sur M. [H] et Mme [J] : La Cour souligne que l’article 2 du CPP n’exige pas d’être expressément nommé dans la prévention pour avoir qualité de victime. Leur présence sur la vidéo, dans un contexte accusatoire global contre la police, suffisait à les exposer au risque visé à l’article 223-1-1 CP.

Solution retenue
Cassation partielle des dispositions civiles de l’arrêt d’appel.
Renvoi devant la cour d’appel de Versailles autrement composée, uniquement sur les intérêts civils.

3. Références et articles juridiques
Articles cités

Article 223-1-1 du Code pénal :

« Le fait de révéler, de diffuser ou de transmettre […] des informations permettant d’identifier ou de localiser une personne dépositaire de l’autorité publique […] aux fins de l’exposer à un risque direct d’atteinte à la personne ou aux biens que l’auteur de la divulgation ne pouvait ignorer […] est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende. »


Article 2 du Code de procédure pénale :

« L’action civile en réparation du dommage causé par un crime, un délit ou une contravention appartient à tous ceux qui ont personnellement souffert du dommage directement causé par l’infraction. »


Article 3 du Code de procédure pénale :

« La constitution de partie civile peut intervenir à tout moment avant les réquisitions du ministère public sur le fond. »


Article 1240 du Code civil :

« Tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. »
 Cass. crim., 11 févr. 2025, n° 24-82.090


4. Analyse juridique approfondie

Raisonnement juridique de la Cour de cassation

La chambre criminelle opère une double cassation sur les intérêts civils, fondée sur deux axes fondamentaux :


I.  Droit à réparation du préjudice reconnu (art. 1240 C. civ. – art. 2 et 3 CPP)
 Principe dégagé : Lorsqu’un tribunal ou une cour reconnaît l’existence d’un préjudice causé à une partie civile, il lui incombe de statuer sur la réparation de ce préjudice, même en l’absence de demande indemnitaire chiffrée.

Extrait significatif : « Il appartient aux juridictions du fond de réparer, dans les limites des conclusions des parties, le préjudice dont elles reconnaissent le principe. »

Erreur de la cour d’appel :

Elle reconnaît la responsabilité civile de M. [L] envers M. [E],
…mais refuse d’ordonner la réparation en raison d'une absence de demande indemnitaire explicite.
Cette abstention viole le principe de réparation intégrale et l’article 1240 C. civ..

Portée : La Cour de cassation confirme que la reconnaissance du préjudice implique l’invitation à compléter les demandes, à défaut de quoi l'omission constitue un vice justifiant la cassation.


II. Qualité de victime malgré l’absence de désignation explicite (art. 2 CPP – art. 223-1-1 CP)
Principe affirmé : Toute personne identifiable et exposée à un risque par une divulgation entre dans le champ de la protection de l’article 223-1-1 du Code pénal, même si elle n’est pas nommée dans la prévention.

Extrait décisif : « L’article 2 du CPP ne prévoit aucune restriction tenant au visa, dans la prévention, de la personne susceptible d’avoir subi un préjudice. »

Erreur de la cour d’appel :

Rejette les constitutions de partie civile de M. [H] et Mme [J], au motif qu’ils ne sont pas cités dans l’accusation.
Mais ces deux policiers figurent visiblement dans la vidéo diffusée, au milieu de propos accusateurs contre la police.
Ils sont donc exposés aux mêmes risques que M. [E].

Portée : La jurisprudence vient renforcer le droit à réparation des agents publics identifiables dans un contenu incriminant, même collectivement visés.


Conséquences juridiques

1. Sécurisation de la réparation civile
La Cour impose désormais aux juges d’interroger activement les parties civiles sur leurs prétentions indemnitaires lorsque le préjudice est établi.

2. Extension de la qualité de victime en matière de divulgation
Cette décision renforce l’interprétation large de l’article 223-1-1 CP : il suffit d’une identification visuelle dans une scène comportant des accusations contre un corps d’autorité pour conférer un risque direct d’atteinte.

3. Responsabilisation des diffuseurs
L'arrêt alourdit la charge de vigilance pesant sur les diffuseurs de contenu visuel : même indirectement, la diffusion peut engager leur responsabilité civile et pénale.

5.  Critique  de la décision – Analyse croisée des décisions postérieures

Décisions postérieures pertinentes identifiées :

Cass. crim., 25 mars 2025, n° 23-85.517
Thème : Caractère public des propos diffamatoires contre magistrat sur Facebook
Lien thématique : L’arrêt confirme l’élargissement de la notion de "public" à la simple mise en ligne d’une vidéo ou publication sur les réseaux sociaux dès lors qu’un tiers peut y avoir accès.
 Intérêt : Il complète la décision du 11 fév. 2025 en confortant la responsabilité du diffuseur de contenus visant des agents publics.

Cass. crim., 22 janv. 2025, n° 23-86.433
Thème : Refus de suspension de peine pour raison médicale – Exposition médiatique indirecte
Lien thématique : La Cour rappelle que l’exposition médiatique d’un détenu identifiable n’équivaut pas à une mise en danger directe sans lien avéré avec une intentionnalité de nuisance.
Intérêt : Affine la notion de risque direct dans l’article 223-1-1 CP, distinguant l’intention de nuire d’un simple effet collatéral.

Cass. crim., 11 mars 2025, n° 23-86.260
Thème : Saisie de documents lors d’une perquisition chez un avocat – droit au respect de la vie privée
 Lien thématique : Elle illustre l’extension du droit à réparation en cas d’identification dans un contenu délictueux, ici dans un dossier pénal.
Intérêt : Vient confirmer le raisonnement de l’arrêt du 11 février 2025 sur la protection élargie de la vie privée professionnelle dans le cadre d’une divulgation.


Consensus jurisprudentiel postérieur :

La Cour de cassation a confirmé et renforcé la portée protectrice de l’article 223-1-1 CP, en consacrant un droit autonome à réparation dès lors que la personne est identifiable, même non nommée.
Elle a systématisé l’obligation du juge d’examiner les demandes de réparation en présence d’un préjudice reconnu (renforcement du rôle actif du juge civil).

Impact doctrinal :
L’arrêt du 11 février 2025 constitue désormais un arrêt de principe dans le domaine des atteintes numériques à la personne dépositaire de l’autorité publique.

6 . Accompagnement juridique
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