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Preuve déloyale sous condition de nécessité et de proportionnalité

Le 10 septembre 2024
Preuve déloyale sous condition de nécessité et de proportionnalité
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Un salarié a déclaré avoir été victime, le 18 mars 2016, de violences verbales et physiques commises par le gérant de la société, accident que la caisse primaire d'assurance maladie de la Seine-et-Marne a pris en charge au titre de la législation professionnelle.

L'employeur a saisi d'un recours une juridiction chargée du contentieux de la sécurité sociale aux fins d'inopposabilité de cette décision.

La victime ayant saisi la même juridiction aux fins de reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur, les deux instances ont été jointes.

Il se trouve que le salarié avait à sa disposition un enregistrement fait par ses soins rapportant la réalité des violences verbales et physiques.

L’employeur contestait sa recevabilité au motif que l’enregistrement avait été réalisé à l’insu de son auteur et constituait un procédé déloyal rendant irrecevable sa production à titre de preuve

La Cour de cassation rappelant un arrêt du 22 décembre 2023, considère que dans un procès civil, l'illicéité ou la déloyauté dans l'obtention ou la production d'un moyen de preuve ne conduit pas nécessairement à l'écarter des débats.

Le droit à la preuve peut justifier la production d'éléments portant atteinte à la vie privée à la condition que cette production soit indispensable à l'exercice de ce droit et que l'atteinte soit proportionnée au but poursuivi.

En l’espèce, la présence au moment des faits de trois collègues de travail ainsi que d’une personne cliente de l’entreprise et associée du gérant dans une autre société était insuffisant pour rapporter la réalité des faits en raison du lien de subordination pour les premiers d’une part et du lien économique de la seconde.

Il est également retenu que l’altercation est intervenue dans un lieu ouvert au public au vu et au sus de tous.

La victime s'est bornée à produire un enregistrement limité à la séquence des violences qu'elle indique avoir subi et n'a fait procéder au constat de la teneur de cet enregistrement par un huissier de justice que pour contrecarrer la contestation de l'employeur quant à l'existence de l'altercation verbale et physique

Sur la base de ces éléments la Cour de cassation considère que  « si l'utilisation de l'enregistrement de propos, réalisé à l'insu de leur auteur, portait atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit au respect de la vie privée du dirigeant de la société employeur et le droit à la preuve de la victime, la cour d'appel a pu déduire que la production de cette preuve était indispensable à l'exercice par la victime de son droit à voir reconnaître tant le caractère professionnel de l'accident résultant de cette altercation que la faute inexcusable de son employeur à l'origine de celle-ci, et que l'atteinte portée à la vie privée du dirigeant de la société employeur était strictement proportionnée au but poursuivi d'établir la réalité des violences subies par elle et contestées par l'employeur. »

 La motivation est rapportée intégralement afin de démontrer que la Cour de cassation fait un bilan du bénéfice pour le salarié et du préjudice pour l’employeur de la même façon qu’il va faire un bilan entre le bénéfice retiré par le créancier et le préjudice que subit un débiteur pour considérer que l’atteinte est bien proportionnelle au bénéfice atteint.

 Cette manière de réfléchir semble correspondre à un mouvement de fond de la Cour de cassation puisqu’elle applique ce raisonnement à de nombreux domaines en se fondant sur l’article 1221 du code civil qui dispose que le créancier d'une obligation peut, après mise en demeure, en poursuivre l'exécution en nature sauf si cette exécution est impossible ou s'il existe une disproportion manifeste entre son coût pour le débiteur de bonne foi et son intérêt pour le créancier.

Il s’agit bien sûr d’une interprétation extensive de cet article mais qui illustre la volonté d’appliquer cette notion de proportionnalité désormais de multiples domaines.

https://www.courdecassation.fr/decision/6661515cbbc6ae00084dd4b9?search_api_fulltext=Cass+2%C3%A8me+civ+6+juin+2024+n%C2%B022-11.736&op=Rechercher&date_du

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