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PARASITISME : nécessité d'identifier la valeur économique individualisée

Le 08 octobre 2024
PARASITISME : nécessité d'identifier la valeur économique individualisée
CONCURRENCE DELOYALE OU ILLICITE - Concurrence déloyale - Faute - Parasitisme - Conditions – Détermination - Valeur économique individualisée - article 1240 du code civil - sillage d’un concurrent afin de tirer profit de ses efforts -

La société Decathlon SE, qui a pour activité la conception, la production et la distribution d'articles de sports, a commercialisé un masque intégral au tuba intégré dit « Easybreath », évitant les inconvénients, attribués aux masques traditionnels, de vision altérée par la buée et de gêne respiratoire.

Elle est, par ailleurs, titulaire du modèle communautaire déposé le 28 août 2014 sous le n° 002526699-0001, qui représente un casque intégral au tuba intégré, pour lequel une licence a été consentie à la société Decathlon France.

La société Intersport France (la société Intersport) a acquis, auprès de la société de droit allemand Phoenix Group (la société Phoenix), des masques intégraux au tuba intégré référencés « Tecnopro ».

Les sociétés Decathlon SE et Decathlon France (les sociétés Decathlon) ont assigné les sociétés Intersport et Phoenix en contrefaçon de dessin et modèle communautaire enregistré, en concurrence déloyale et en parasitisme. A titre reconventionnel, la société Intersport a demandé la nullité du modèle communautaire.

En cause d’appel, la société Intersport et la société droite allemand sont condamnées pour parasitisme.

Plusieurs moyens sont soulevés en vain.

C’est celui concernant le parasitisme qu’il retire l’attention en ce que la Cour de cassation fait un descriptif relativement précis de ce qu’il faut entendre par parasitisme pour sanctionner le comportement d’une société qui profite indûment des efforts et investissements d’un concurrent, sans avoir consenti les mêmes efforts et investissements, portant atteinte à la loyauté de la concurrence.

La Cour de cassation rappelle en introduction que la recherche d'une économie au détriment d'un concurrent n'est pas en tant que telle fautive mais procède de la liberté du commerce et de la libre concurrence, sous réserve de respecter les usages loyaux du commerce.

Le parasitisme économique est une forme de déloyauté, constitutive d'une faute au sens de l'article 1240 du code civil, qui consiste, pour un opérateur économique, à se placer dans le sillage d'un autre afin de tirer indûment profit de ses efforts, de son savoir-faire, de la notoriété acquise ou des investissements consentis (Com., 16 février 2022, pourvoi n° 20-13.542 ; Com., 10 juillet 2018, pourvoi n° 16-23.694, Bull. 2018, IV, n° 87 ; Com., 27 juin 1995, pourvoi n° 93-18.601, Bulletin 1995, IV, n° 193).

Une fois cela affirmé, il appartient à celui qui se prétend victime d'actes de parasitisme d'identifier la valeur économique individualisée qu'il invoque (Com., 26 juin 2024, pourvoi n° 23-13.535 ; Com., 20 septembre 2016, pourvoi n° 14-25.131, Bull. 2016, IV, n° 116), ainsi que la volonté d'un tiers de se placer dans son sillage (Com., 3 juillet 2001, pourvoi n° 98-23.236, 99-10.406, Bull. 2001, IV, n° 132).

Le savoir-faire et les efforts humains et financiers propres à caractériser une valeur économique identifiée et individualisée ne peuvent se déduire de la seule longévité et du succès de la commercialisation du produit (Com., 5 juillet 2016, pourvoi n° 14-10.108, Bull. 2016, IV, n° 101) et, les idées étant de libre parcours, le seul fait de reprendre, en le déclinant, un concept mis en oeuvre par un concurrent ne constitue pas, en soi, un acte de parasitisme (1re Civ., 22 juin 2017, pourvoi n° 14-20.310, Bull. 2017, I, n° 152).

Ce rappel jurisprudentiel témoigne que le sujet est d’actualité dans un monde de marché ouvert à toute concurrence de quelque horizon que ce fut

Dans le cas d’espèce, la Cour de cassation va écarter toute contrefaçon de modèle au regard des différences notables des autres éléments et rejeté la demande en contrefaçon ainsi que la demande en concurrence déloyale en l'absence de risque de confusion au motif que les ressemblances existant entre les masques en présence ressortent principalement de la reprise par celui incriminé de caractéristiques imposées par la fonction technique du produit.

Elle va faire sienne l’argumentation de la cour d’appel lorsque celle-ci retient la grande notoriété du masque « Easybreath » des sociétés Decathlon, la réalité du travail de conception et de développement sur une durée de trois années pour un montant total de 350 000 euros, le caractère innovant de la démarche conduite par celles-ci, ainsi que des investissements publicitaires de plus de trois millions d'euros et un chiffre d'affaires de plus de 73 millions d'euros entre mai 2014 et novembre 2018 généré par la vente de ce produit, ce dont il ressort que le masque « Easybreath » constituait une valeur économique identifiée et individualisée, tandis que les sociétés Phoenix et Intersport ne justifient d'aucun travail de mise au point ni de coût exposés relatifs à leur propre produit.

Il  n'est pas établi ni même allégué que des articles équivalents auraient existé sur le marché français au moment du lancement du masque « Easybreath » et en déduit que ce produit est le résultat d'une démarche innovante et d'un travail de conception qui a nécessité des investissements conséquents.

Il relève encore que la fourniture, par la société Phoenix, du masque « Tecnopro » à la société Intersport et sa commercialisation en 2017, sont intervenues à une période au cours de laquelle les sociétés Decathlon investissaient encore pour la diffusion de spots publicitaires, puisqu'elles justifient de factures d'investissements promotionnels jusqu'en avril 2017, qu'à cette date le masque « Easybreath » rencontrait encore un grand succès commercial, constituait un produit phare de l'enseigne Decathlon et était connu d'une large partie du public grâce aux lourds investissements publicitaires consentis par les sociétés Decathlon.

Il en déduit, par motifs propres et adoptés, que la distribution, précisément à cette période, du masque « Tecnopro », non seulement identique d'un point de vue fonctionnel mais aussi fortement inspiré de l'apparence du masque « Easybreath », laquelle avait été préalablement testée auprès du public concerné, un lien se faisant entre les deux masques du fait de leur aspect global, a permis aux sociétés Phoenix et Intersport de bénéficier, sans aucune contrepartie ni prise de risque, d'un avantage concurrentiel et caractérise la volonté délibérée de ces dernières de se placer dans le sillage des sociétés Decathlon pour bénéficier du succès rencontré auprès de la clientèle par leur masque subaquatique.

C’est donc sur le fondement de ces constatations et appréciations, que la cour d'appel, ne s'est pas bornée à déduire l'existence d'actes de parasitisme de la reprise d'un concept ou des seuls éléments fonctionnels du masque commercialisé par les sociétés Decathlon, mais a caractérisé la faute de parasitisme des sociétés Phoenix et Intersport, qui ont indûment capté la valeur économique identifiée et individualisée, fruit des investissements des sociétés Decathlon, et qui n'était pas tenue de suivre la société Phoenix dans le détail de son argumentation a, à bon droit, condamné les sociétés Phoenix et Intersport pour parasitisme.

IL ressort clairement de cet arrêt que le parasitisme économique est bien un acte de concurrence déloyale relevant de l’article 1240 du Code civil.

 Pour en obtenir l’indemnisation, il importe de démontrer que le concurrent se soit délibérément placé dans le sillage d’un concurrent afin de tirer profit de ses efforts, de son savoir-faire, de sa notoriété, de ses investissements d’une part et d’autre part que la victime puisse identifier la valeur économique individualisée qui était parasitée en prouvant la volonté du tiers de se placer dans son sillage, en l’espèce en profitant de la campagne de promotion faite par Decathlon.

 Cass com 26 juin 2024 n°22-17.647

https://www.courdecassation.fr/decision/667baefceee23a0a3f11d24c?search_api_fulltext=Cass+com+26+juin+2024+n%C2%B022-17.647&op

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